J’aime les lundis

8 de febrer de 2020
Source: Flickr

J’aime les lundis, ces pauvres lundis que tout le monde déteste. À l’âge de quatre ans, je les adorais déjà, les lundis. C’était le jour où j’allais revoir ma maîtresse d’école dont j’étais éperdument amoureuse. Même si j’ai vécu alors ma première déception sentimentale quand elle nous a annoncé, toute contente, qu’elle allait avoir un bébé (Pourquoi, mon Dieu? Je ne lui suffisais donc pas?), les lundis continuaient à être un moment plein d’espérance: le bébé serait peut-être mort pendant le week-end? Plus tard, j’ai continué à aimer les lundis. Ils étaient mon aube après les gris dimanches alsaciens que je passais avec mes parents et leurs amis qui avaient l’air de drôlement s’amuser tandis que je moisissais d’ennui en chipotant dans mon assiette de choucroute. Et puis j’ai commencé ma sixième et le fameux Latin et, là, les lundis sont devenus des moments de pur narcissisme: j’allais enfin pouvoir déclamer les déclinaisons que j’avais potassées tout le week-end! Les heures de rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa valaient tous les sacrifices (je profite de l’occasion pour vous mettre un lien vers une merveilleuse chanson de Jacques Brel) .

À l’adolescence, mes lundis furent encore plus glorieux. Avec ma meilleure amie, nous entrions en triomphe dans la cour du lycée pour exhiber notre nouvelle manucure avec des vernis Mary Quant de toutes les couleurs. C’est depuis cette époque que les hommes m’ont toujours fait un peu pitié, les pauvres. Ne pas connaître cette jouissance, c’est passer à côté de la vie. C’est pour éviter ça, d’ailleurs, que je suis allée vivre à 19 ans avec un vieillard de 27, dont le seul mérite a été de fortifier mon amour pour les lundis: même si ce jour-là les cours de la fac commençaient à huit heures du matin, l’arôme des sandwichs au thon du bar de l’université et le fait de perdre de vue pendant quelques heures ce monsieur si ennuyeux et si jaloux étaient un pur bonheur! Très vite redevenue célibataire comme vous pouvez le supposer, je me suis mise à travailler dans une agence de pub. Vous imaginez ça au tout début des années 1980? Du Mad Men pur et dur. J’adorais tellement mon boulot que j’attendais les lundis avec impatience et je me souviens avec un peu de honte que, quand un collègue m’avait demandé ce que je ferais si je gagnais à La Quiniela (observez, mes petits, que La Primitiva n’avait même pas encore été inventée), j’avais répondu avec ferveur «Continuer à travailler!».

Hélas, même les passions éternelles ont une fin et, un dimanche soir, j’ai senti une vilaine boule à l’estomac. Rassurez-vous: ce n’était pas un ulcère, mais un burnout en bonne et due forme. Aux grands maux, les grands remèdes: le lendemain, j’ai démissionné. Personne n’allait briser mon amour pour les lundis, et c’est comme ça que j’ai commencé ma vie de freelance et, plus tard, de prof à l’UOC. Cela a été une révélation et j’ai trouvé la raison ultime de ma vie: travailler AUSSI les week-ends et jouir de la sensation enivrante de gagner du temps sur le reste des pauvres humains qui se reposaient, les malheureux, sans savoir que je prenais sur eux des kilomètres d’avance qu’ils ne pourraient jamais, jamais rattraper. Comme la tortue de la fable, je les attendrais de pied ferme le lundi matin.

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